[portrait] Monique et Jean Micoulin
Les Micoulin
Le nom des Micoulin est familier à Cruis. Ce couple a habité le village pendant 25 ans, y a conduit de nombreuses initiatives, et a laissé plusieurs traces autour de nous et même dans nos coutumes. Mais, bien qu’ils aient gardé ici de nombreuses attaches, Monique et Jean Micoulin habitent désormais Puyricard et beaucoup de villageois ne les ont pas connus. Ceux-là auront cependant remarqué ce magasin fermé, sous la mairie, ainsi que, sur la route départementale en venant de Saint-Etienne-les-Orgues, le panneau publicitaire qui l’annonce :
Alors qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Comment sont-ils arrivés à Cruis ? Qu’est-ce qu’ils y ont fait pour qu’on en parle encore, et pourquoi en sont-ils partis ?
Ils nous ont gentiment reçus chez eux pour répondre à ces questions.
Un parcours provençal
Jean (Auguste-Jean, de naissance) Micoulin est nougatier et calissonnier de 5e génération. Les Micoulins sont confiseurs depuis 1830 – pour vous situer, c’était l’époque de la monarchie de juillet. Autant dire que la pratique des Micoulin a traversé l’histoire.
D’abord préparateur en pharmacie et assistant en bloc opératoire, infirmier, aussi coupeur de feu, Jean reprend l’affaire familiale suite au décès subit de ses parents dans un accident de voiture, en 1969. Il rencontre Monique en 1975 à Aix, où ils habitent le même quartier, Aixois de souche tous les deux (la famille de Monique depuis le 18e siècle). Ils se marient en 1981 – c’est leur second mariage à chacun. Monique est rédactrice de production dans un cabinet d’assurance, puis dans le courtage. Elle sera assureure pendant 20 ans. Elle a aussi travaillé dans la couture, la mode… « Je suis une touche-à-tout » dit-elle.
Jean développe l’affaire familiale et construit une énorme bâtisse à Venelles pour accueillir son logement et une nouvelle confiserie. Plus tard, le restaurant « Sainte-Victoire, chez Mestre Micoulin » voit le jour dans les mêmes murs, à peu près au moment où Monique entre dans la vie de Jean – elle en sera le chef (du restaurant).
A cette époque, Jean s’investit déjà dans la culture provençale : il a été vice-président et coprésident des amis de la Sainte-Victoire pendant 30 ans. C’est lui qui a refait le « mouton » de cloche de la chapelle de la Sainte-Victoire après qu’elle eut brûlé :
Une nouvelle aventure
A 60 ans, Jean a voulu partir de Venelles. « Je veux finir ma vie dans le Haut-Var ou en Haute-Provence », dit Monique en le citant – elle était beaucoup moins enthousiaste à cette idée. Ils parcourent le pays à la recherche de leur prochain lieu de vie. Monique aurait préféré prendre sa retraite tranquillement sur place, mais le hasard en a voulu autrement.
En 1990, dans une émission de télévision animée par Roger Gicquel qui donnait un coup de projecteur sur différents villages de France, ils ont entendu le maire de Cruis, nouvellement élu, expliquer qu’il attendait les artisans et promettait de faciliter leur installation. Cela les a séduits. Jean a contacté le maire puis l’a rencontré et a pris sa décision dans la foulée. Les Micoulin ont progressivement déménagé tout en suivant les travaux de leur nouvelle installation. La vente de l’immeuble de Venelles, qui logeait leur habitation, leur confiserie et leur restaurant, a cependant demandé plus de temps qu’ils ne l’avaient anticipé.
Installation à Cruis
Ils ont vite repéré le site du magasin, dans le bâtiment de l’abbaye qui était pratiquement en ruine. Leur habitation était tout à côté : c’est la grande maison de trois étages face au terrain de boules, sur l’allée des Maronniers.
Les travaux étaient importants, aussi après deux ans le magasin n’était toujours pas ouvert. Une enseigne disait « Prochainement, ouverture d’une confiserie », et on leur demandait « Mais prochainement, c’est quand ? ». Alors, sur une impulsion, ils ont décidé de surprendre le village et d’ouvrir du jour au lendemain le petit magasin, même si la plus grande partie, sous la voûte, n’était pas achevée. Un soir d’août 1993, ils sont partis à Venelles charger leur utilitaire de quantité de produits pour le magasin. Revenus sur place dans la nuit ils ont tout installé avec l’aide, notamment, de Brigitte et André Orlando. A 3h ils buvaient ensemble le champagne : mission accomplie. Et au matin, les Crussiens découvraient, ébahis, cette abondance provençale apparue comme par magie.
Le magasin vendait de la confiserie, du décor de maison, des produits du terroir… « C’était une boutique-musée » dit Monique. La clientèle n’était pas tant faite des villageois que des touristes et des habitants des villages des alentours. Jean : « C’était le plus beau magasin des Alpes de Haute-Provence. Il était connu dans tout le département. »
Le plus grand espace, la véritable caverne d’Ali-Baba provençale, fut ouvert quelque temps plus tard :
Monique : « De notre temps, les gens allaient au Bleuet puis chez nous. Grâce à notre magasin Cruis était une étape obligée pour les touristes. » Quand on leur fait remarquer que leurs calissons avaient la réputation d’être incomparables, Jean répond : « C’est que nous faisions de vrais calissons – les autres font n’importe quoi ». Et à quoi cela tenait-il ? « Les ingrédients, la qualité, les procédés – broyage à rouleaux, concassage à froid… C’est un métier ancestral. Ça ne s’improvise pas. »
Le magasin travaillait surtout d’avril à octobre. En novembre et décembre, c’était la fabrication des nougats, des calissons et de la confiserie qui les occupait principalement, ainsi que la livraison des grossistes et des boutiques en direct. Le mois de janvier était marqué par les cadeaux d’entreprise. C’était ensuite fermé jusqu’en avril.
A cette époque, Cruis comptait davantage de commerçants qu’aujourd’hui : il y avait une boulangerie dans l’ancien local de la petite rue, et tout à côté l’épicerie, boucherie et charcuterie de M. et Mme Tellier (avant qu’ils ne s’installent là où est aujourd’hui l’épicerie) ; le bar était là où il est encore (tenu à l’époque par Daniel Clemente) ; Mme Gondran vendait des fruits et légumes ; M. et Mme Laugier tenaient l’auberge de l’abbaye ; on trouvait sur la place une coiffeuse et l’antiquaire, M. Morero ; un potier était installé près des Micoulin et un vannier sur la route de Montlaux… En ajoutant la confiserie, on trouvait vraiment de tout au village.
Activités crussiennes
Débuts
Hors de leur pratique professionnelle, les Micoulin ont été extrêmement actifs dans le village. Leur première initiative, pour se présenter et présenter leur projet, fut un défilé de mode en tissus provençaux qui fit venir beaucoup de monde, dont tous les élus de la région. Il y eut deux éditions.
Vers 1994 la présidence de l’Aven, l’association bien connue du village, s’est libérée, et Monique a été élue, ce qui lui a donné les moyens de mettre en œuvre ses idées.
Noël
Le premier projet à voir le jour dans ce nouveau contexte fut la foire aux santons – qu’on appelait « Les avents calendales ». Cela a duré trois ans, dans la salle de divertissement et dans la salle d’exposition, avec des meubles prêtés par l’antiquaire. C’était avant l’avent, dès mi-novembre.
L’Aven en vint ensuite à faire revivre la tradition provençale du « Gros souper ». L’événement, qui s’est répété pendant 3 ans aussi, consiste à manger maigre le soir de Noël (avant la messe de minuit), notamment la « soupe de Cruis » (voir plus bas). Il y avait aussi l’anchoïade de Noël, à base de céleri, l’omelette d’épinard, et le gratin de morue aux poireaux. Une membre de l’Aven faisait des fromages de chèvre, des Banon, qui étaient trempés dans l’eau-de-vie avant l’emballage dans la feuille de châtaignier. Une cheminée provençale était reconstruite par les hommes. La table, faite par les femmes en rouge et vert, était recouverte de trois nappes : leurs angles qui pendaient étaient noués pour empêcher les mauvais esprits de grimper sur la table alors que tout le monde était à la messe…
L’événement attirait 100 personnes que distrayaient des conteurs provençaux – peu parlaient le provençal dans le public, mais cela restait compréhensible, nous dit-on. Et il y avait les fameux 13 desserts. On retrouvait enfin la tradition du cacho-fue : le plus jeune et le plus vieux arrosent une bûche d’arbre fruitier à noyaux avec une bouteille de vin cuit en disant « Calèndo vèn, tout bèn vèn, Diéu nous fague la gràci de vèire l’an que vèn, e se noun sian pas mai, que noun siguen pas mens » (« Noël approche, tout se passe bien, que Dieu nous fasse la grâce de voir l’an prochain, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins ») et on met la bûche au feu. Elle brûle toute la nuit, et le lendemain, pour le bon augure, le feu doit reprendre.
Une année, la messe fut même dite en provençal.
Jazz
Le Festival de jazz vit le jour à l’Aven en 1999, sous la présidence de Monique. Au début c’était tout petit, puis Claudy Gratiot, un batteur de jazz de Forcalquier, les a beaucoup aidés. Jean : « Sans lui le festival de Cruis n’aurait jamais décollé ». Il y avait du boulot, « mais aussi une sacrée équipe qui ne lésinait pas à l’ouvrage » précise Monique.
Divers
Il y a aussi eu l’expo de champignons, des lotos, une tombola, la fête du miel – qui réunissait des pépiniéristes, un caricaturiste, un animateur, des potiers, des manèges, plein de stands, des concours de dessin pour les enfants… Tout ça sur la place. L’événement a couru les mêmes années que le gros souper.
Pour les Journées du patrimoine, l’Aven faisait un gros repas dans la cour du cloître et assurait l’animation en faisant intervenir un conteur, des danseurs de la région, des chanteurs de la Vallée d’Aoste…
Jean a aussi largement participé à la réfection des jas de la commune.
Les portes de l’avent, qu’on perpétue encore aujourd’hui, ont été initiées par les Micoulins en 2014, après que Monique eut quitté la présidence de l’Aven – mais c’est en 2015 que l’événement prit l’envergure qu’on lui connaît aujourd’hui. Ils souhaitaient mettre en place une manifestation analogue pour les feux de la Saint-Jean, le 24 juin, mais ils ont finalement jugé les risques d’incendie trop importants.
Parmi ses faits d’armes, Jean a fabriqué lui-même, pour l’offrir à Cruis, la croix à la sortie du village vers Mallefougasse :
Au revoir Cruis
Le magasin a fermé il y a 12 ans, en 2008, date à laquelle Monique et Jean accédaient à la retraite. Ils ont cherché un repreneur, mais n’en ont pas trouvé. Ils ont quitté l’Aven à peu près à cette date.
Il y a quatre ans, des problèmes de santé les ont obligés à quitter leur maison en étages. Ils ont envisagé, pendant un temps, un projet de villa de plain-pied sur Cruis, mais ont finalement décidé d’aller vivre dans une propriété qu’ils avaient sur Puyricard.
Aujourd’hui, malgré des soucis de santé relativement graves, Monique garde le cap et Jean, à 90 ans, a l’esprit aiguisé comme un couteau. Leurs nombreux amis au village les tiennent informés de tout ce qui s’y passe – ils lisent notamment « Cruis citoyen » régulièrement. La force de proposition et de réalisation dont ils ont fait preuve semble nous manquer aujourd’hui, mais sans doute les initiatives ne sont-elles pas suffisamment encouragées.
Remerciements à Monique et Jean qui se sont donné du mal pour réunir photos et souvenirs, ainsi qu’à Jean-Paul Forest qui a rendu possible cette rencontre et l’a accompagnée.
Annexes
La soupe de légumes de Cruis
Ou : La soupo de lieume coume a Cruis
Recette transmise par Monique Micoulin, issue de Noël provençal, saveurs et traditions, de Marion Nazet (Edisud 1997) :
« La bonne grosse assiette creuse de faïence blanche s’emplissait d’une soupe de légumes compacte. Elle était encore épaissie par les “Crouis”, espèce de pâtes semblables aux lasagnes, larges et peu cuites, que les ménagères, souvent réunies à plusieurs, avaient confectionnées la veille en commun. Le gruyère râpé ajoutait à sa note riche. » Voilà ce que nous apprend le livret publié par l’Aven Autour d’une crèche de Haute-Provence. Nous allons essayer de faire aussi bien que ces dames.
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• 1 carotte • 1 navet • 1 gros poireau • 1 petit cœur de chou
• 100 g de haricots secs (faire tremper depuis la veille)
• une grosse cuillère de saindoux • bouquet garni
• 2 litres de bouillon (ou eau salée)
• pour la pâte des lasagnes : 500 g de farine • 4 œufs
• eau • sel
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• Emincez finement carotte, poireau, navet, chou. Mettez les haricots à l’eau froide, faites-leur donner un bouillon, égouttez-les.
• Faites fondre le saindoux dans la casserole de cuisson et faites-y doucement étuver les légumes. Puis ajoutez les haricots, mouillez avec le bouillon chaud et faites doucement prendre ébullition, en enlevant l’écume à mesure qu’elle monte à la surface.
• Laissez tranquillement bouillotter pendant 2 heures.
• Au bout de ce temps, vérifiez l’assaisonnement et ajoutez une petite poignée de lasagnes par personne ; vous laissez pocher pendant une dizaine de minutes et vous servez, avec sur table du gruyère râpé. Mais, juste au moment de servir, vous ajoutez 2 ou 3 tours de poivre du moulin, qui donnera ainsi tout son parfum.
• Un des participants à notre cours de cuisine nous a dit récemment que la méthode consistant à faire légèrement revenir les légumes de la soupe dans la matière grasse est excellente, car elle préserve les vitamines.
Confection des lasagnes
• Cassez 4 œufs dans un saladier, salez et battez comme pour une omelette. Ajoutez-y le même volume d’eau.
• Mettez 500 g de farine dans un autre saladier ; faites la fontaine, versez les œufs au milieu ; intégrez la farine et travaillez bien votre pâte qui doit être lisse et souple. Etalez-la sur la planche farinée, bien mince et laissez-la légèrement sécher. Coupez-la en bandes de 2 cm de large et de 6 à 7 cm de long. Laissez un peu sécher avant emploi.
Cet article met en lumière un couple hors du commun de par leur générosité, leur créativité sans limites.
MERCI
toutes mes félicitations pour ce bel article et Bravo a cette famille Micoulin
bravo pour ce bel hommage bien mérité