[reportage] Chronique voltaïque : 1
Depuis deux semaines Cruis vit au gré du projet de centrale photovoltaïque du village et des réactions qu’il suscite. Nous abordons le sujet sous la forme d’un reportage chronologique – le premier épisode d’une série qui en comptera vraisemblablement plusieurs.
Mise à jour du 26 août : publication d’une analyse détaillée de l’arrêté du maire de Cruis, visant à empêcher la circulation autour du chantier pour motifs fallacieux de préservation de l’environnement – analyse qui conclut à l’illégalité dudit arrêté.
Vendredi 11 août : manif à Cruis
A l’occasion d’un des spectacles du festival Cruis en Jazz, quelques manifestants se sont exprimés pour protester contre le financement partiel de ce festival par Boralex, l’opérateur de la centrale, sponsor régulier de l’événement. Les intervenants ont parlé de jazzwashing, par analogie au greenwashing : l’industriel cherche à faire oublier son action de déforestation en soutenant la culture locale.
Cette intervention s’est déroulée sans heurt, donnant lieu à des échanges avec un public attentif, ignorant parfois le projet et qui, dans sa majorité, a adhéré au point de vue des manifestants. Certains spectateurs, mis au courant de la situation, ont choisi de faire demi-tour plutôt que d’assister au concert financé par la destruction des forêts. D’autres en ont profité pour approfondir les enjeux avant d’entrer dans le cloître.
Les organisateurs, eux, semblaient un peu agacés…
Les manifestants ne sont apparemment pas revenus le lendemain, dernier jour des festivités.
Samedi 12 août : arrêté précipité
Un arrêté municipal signé le 12 août(un samedi donc) est remarqué lundi 14 sur les pistes autour du chantier de Boralex, peut-être affiché dès le 12 ou le 13. Etablir ce genre de démarche en plein week-end dénote une certaine précipitation. Quand on sait que des ouvriers ont débarqué sur le site de la centrale lundi à l’aube, on comprend la logique et on se dit que la communication ne doit pas être très efficace entre l’opérateur et la commune, qui semble avoir découvert l’imminence du chantier à la dernière minute.
Ce que dit cet arrêté, c’est que pour préserver la faune, la flore, la nature en général, la richesse biologique et la forêt (sic), une partie (pourquoi une partie ?) du massif forestier de Cruis sera fermée à la circulation motorisée pour tous, ayants droit exceptés, jusqu’au 30 septembre (pourquoi pas tout le temps ? pourquoi maintenant ?). La zone en question est censée être représentée par un « périmètre » (cf. texte de l’arrêté), mais le schéma joint (mal reproduit ici) donne plutôt le tracé de la piste forestière – est-elle interdite ou permise ?
Le document est peu lisible. Le tracé part de Cruis par l’ancienne route de Mallefougasse, monte après la chapelle vers la citerne DFCI, puis continue soit jusqu’au jas Roche, soit jusqu’au jas Neuf.
Cette interdiction ne vaut pas pour les ayants droit, mais on ne dit pas qui est détenteur de ce privilège. On trouve quelques infos dans cet article :
Dans le cas des chemins ruraux, l’ayant droit typique est le propriétaire d’une parcelle à laquelle on ne peut accéder que par la voie interdite, ainsi que ses ayants droit : locataires, titulaire d’un bail de chasse, personne chargée de l’entretien ou de l’exploitation de la parcelle, amis à qui il donne le droit d’aller ramasser des champignons…
La dérogation n’est alors logiquement valable que pour emprunter le tronçon utile à l’accès à la parcelle, et non toutes les autres voies interdites alentour. Une telle dérogation ne peut donc pas profiter à tous les habitants de la commune, puisqu’ils ne peuvent pas tous revendiquer un intérêt direct tel qu’évoqué plus haut.
Cette notion d’ayant droit recoupe l’apparition récente de plusieurs panneaux sur les pistes autour de Cruis :
Apparemment, ces pistes sont désormais interdites aux véhicules à moteur (dont les quads) – sauf ayant droit… Au village, on nous dit que tous les Crussiens sont ayant droit. Est-ce que cela veut dire que l’arrêté municipal ne concerne pas les Crussiens ? Nous avons interrogé la mairie par mail à ce sujet mais on ne nous a pas répondu.
Lundi 14 août : le réveil du dragon
Des agents de sécurité, accompagnés d’un chien, apparaissent sur zone. Bientôt des ouvriers arrivent qui commencent à s’activer. Au même moment les pistes alentour se peuplent de gendarmes – une quinzaine. Pour les riverains, il devient compliqué de circuler entre les barrages, où l’on réclame des informations différentes et personne n’est reconnu une fois sur l’autre. Quand on demande ce qui se passe l’un parle d’un exercice incendie, plus loin un autre évoque l’arrêté municipal décrit plus haut. Un arrêté ? Où ça ? Ah… Et voilà qu’on trouve le fameux arrêté défenseur de la nature, invisible à qui n’inspecte pas de près, hors voiture, quelques points d’affichage.
Il est pourtant clair que les gendarmes ne sont là que pour protéger le chantier mais ils ne l’avouent pas. Toujours est-il qu’au moment où les ouvriers s’en vont, vers 13h eu égard aux risques d’incendie du secteur, la maréchaussée leur emboîte le pas.
Donc, non seulement Boralex rase les forêts et détruit des espèces protégées, mais la mairie les protège au nom de la nature. Est-ce de l’humour ? Il serait bien noir.
Sur place sont réunis des opposants au projet, regroupés dans la mouvance du collectif « Elzéard-Lure en résistance ». Ce collectif a récemment déposé une plainte au pénal contre le projet, recours qui s’ajoute à celui de l’association Amilure. Les militants cherchent à bloquer les travaux qui consistent, semble-t-il, à la pose d’une clôture légère d’environ 1,20 m, sans doute destinée à pouvoir dénoncer l’effraction des personnes qui voudraient pénétrer dans le périmètre de la zone. En tout cas ce n’est certainement pas la clôture définitive du site, qui sera plus haute et plus solide.
Des mâts de plusieurs mètres apparaissent aussi sur les deux secteurs de la centrale, apparemment porteurs de plusieurs caméras pour une couverture 360°. On assiste de loin à des essais : une torche très violente clignote, une voix robotique intime l’ordre à d’hypothétiques intrus de faire marche arrière, puis une sirène retentit pendant plusieurs secondes.
Nuit du 14 au 15 août : le chant des sirènes
Les riverains n’ont pas dormi cette nuit-là. Il faut croire que les responsables de la sécurité du chantier n’ont pas pris en compte la portée de leur dispositif de détection (nuisible jusqu’aux habitants situés à 1,2 km), ni le contexte naturel du site : plusieurs fois par heure, la fameuse sirène retentissait pour annoncer un chevreuil ou un cerf, un sanglier ou un renard, un blaireau ou un lièvre… Les agents de sécurité ne se déplaçaient plus : « Tiens, encore une bête… ». Eux non plus n’ont pas dû dormir.
Mardi 15 août : une Assomption au front
Malgré l’engagement de l’opérateur (cf. page 211 de l’étude d’impact, constitutive du permis de construire par son article 5) de n’ouvrir son chantier que les jours ouvrés (et de ne faire aucun bruit la nuit), ce 15 août férié n’empêche pas les ouvriers de revenir.
Les opposants sont toujours là , et la gendarmerie semble avoir dépêché des renforts. Du coup, des personnes voulant se rendre chez des riverains, forcément incapables d’en fournir une preuve que notre démocratie ne prévoit pas, sont refoulées par les forces de l’ordre. Indignation dudit riverain qui s’en plaint à la mairie, aux gendarmeries et à la sous-préfecture : hors état d’urgence, les citoyens n’ont pas à prouver leurs intentions – c’est à la gendarmerie de démontrer qu’elles sont fausses, le cas échéant, par exemple en accompagnant les personnes concernées à leur destination (les gendarmes ne pourront pas dire qu’ils « n’ont pas que ça à faire » puisque c’est justement le cas). Par ailleurs, l’arrêté municipal est infondé et fallacieux.
Le secrétaire général de la sous-préfecture répond qu’il lui semble au contraire légitime que le chantier de Boralex soit protégé par un arrêté invoquant la nature, se rendant par le fait même complice de ce détournement de procédure.
Par ailleurs, un responsable de Boralex sur place assure que le niveau de la sirène va être réglé. Il ne semble pas sensible à l’inutilité d’une sirène non sélective – l’expression « crier au loup » ne doit pas lui être familière. Interrogé sur le calendrier du chantier, le responsable avance que les travaux comme tels ne débuteront pas avant l’automne.
– L’automne ça commence le 21 septembre, on est d’accord ?
– Oui, oui.
Tout réside dans la définition de « travaux ». Dans la bouche de ce responsable, il s’agit probablement de la pose des panneaux, et non du clôturage. Jusqu’à preuve du contraire nous retiendrons donc sa parole : pas de pieux battus (technique de fixation des panneaux dans la roche, forcément très bruyante) avant le 21 septembre.
Mercredi 16 août : les médias s’invitent
Ce matin là, des journalistes sont réunis par le collectif Elzéard et de nombreux opposants sont présents. Les médias rendront compte des événements : La Provence, Le Dauphiné, BFM DICI… Dans son journal de 8h, France Inter diffusera une interview.
Le Manitou, engin servant à porter le matériel des clôtures en cours de pose, est mis hors service par les activistes – les pneus seraient dégonflés ou crevés. Les travaux sont perturbés.
Par ailleurs un nouvel arrêté municipal apparaît. C’est le même texte – sauf une expression malheureuse du premier, disant en gros que l’arrêté débutait au moment où il débutait, remplacée par « ce jour ». En revanche un nouveau graphique est joint pour illustrer le « périmètre » :
Si vous ne vous repérez pas c’est normal : ce schéma est illisible. Dommage pour un arrêté qui concerne justement un périmètre spécifique. Nous l’avons reporté sur un fond de carte plus intelligible :
On comprend d’abord que cette définition géométrique englobe le haut des chemins Saint-Jean et des Olivettes, dont les riverains ne sont peut-être pas conscients des contraintes qui leur incombent désormais – et les gendarmes certainement pas. Ensuite on se demande pourquoi le haut du massif, au nord de cette zone, resterait accessible alors que c’est là que se déploie le secteur Natura 2000, principal enjeu de protection naturelle :
Seulement le bas du massif serait défendu. Rien ne vient justifier le côté arbitraire de ce tracé – sauf le chantier Boralex, bien sûr. On nous prend vraiment pour des demeurés.
De jeudi 17 au mercredi 23 août : ça chauffe
Tous les jours, les opposants ont cherché à bloquer ou ralentir les travaux dès 7h du matin. Tous les jours, les gendarmes ont tenté de les en empêcher. Il y eut des affrontements physiques, des altercations… La livraison de structures préfabriquées (Algeco) pour les ouvriers est bloquée. Il semble aussi que les conditions de sécurité pour les ouvriers eux-mêmes ne soient pas respectées.
La fameuse sirène, un moment débranchée, a ressurgi les nuits du 19 au 21, aux dépens du sommeil des riverains. Contacté à ce sujet, Boralex a assuré qu’on ne l’entendrait plus.
Jeudi 24 août : risques d’incendie
La prévention pour risques d’incendie de la préfecture passe notre secteur en zone rouge interdisant tous travaux en forêt. RAS.
A ce stade, la clôture légère qui devait être déployée n’est toujours pas complète.
Et maintenant ?
Le bal continue : les ouvriers tentent d’avancer et les opposants de les stopper. Où cela nous mènera-t-il ? Jusqu’à quand ? Nous rendrons compte de la suite dans ces pages.
Merci pour cet excellent article qui permet dd retracer l,’historique de cet été. Continuez !
Merci de nous tenir au courant.
Elégant l’organisateur du festival, à l’image de la concertation citoyenne à Cruis.
Aucune information de la part de la mairie mis à part les arrêtés bien planqués, ni sur le programme des travaux, ni sur les nuisances pour les riverains, ni sur les contraintes de circulation etc. Ont-ils peur au point de faire tout en cachette?
Pourquoi laisser la mairie tranquille? Le fait d’être élus n’excuse ni la lâcheté ni la bêtise.
Pourquoi laisser Boralex tranquille? L’industriel détruit les forêts et les espèces protégées.
excellent article, bravo!
Merci pour votre soutien !