[tribune] Lâcheté, mensonges et trahison – P. Fabre
Patrick Fabre, Crussien bien connu qui fait déjà l’objet avec Sylvie, son épouse, d’un reportage Cruis citoyen pour leur action de sauvetage auprès de la faune aviaire (mais pas seulement), nous fait parvenir un texte dénonçant les pratiques de l’état, notamment les positions de notre Président, dans le dossier des pesticides utilisés en agriculture.
Rappelons que la rubrique « Tribunes » de Cruis citoyen est ouverte à tous. En vertu de ce principe, les textes qui y sont publiés n’engagent a priori que leurs auteurs.
_____________________________________
Lâcheté, mensonges et trahison !
Je sais, on dirait le titre d’un film genre « Sexe, mensonges et vidéo » palme d’or à Cannes en 1989. Mais ici il ne s’agit malheureusement pas de cinéma. Il s’agit de choses beaucoup plus graves. Il s’agit de choix, ou plutôt de non-choix, qui auront des conséquences à court, moyen et long terme dans le domaine de l’environnement. Nous allons donc parler d’une mauvaise série dont les épisodes sont de plus en plus calamiteux.
Lâcheté
Macron et les chasseurs
Illustration du « en même temps », Emmanuel Macron tente de donner aux uns et aux autres. Il a suspendu la chasse à la glu parce qu’il y était obligé. Le gouvernement s’est soumis aux injonctions de la Commission européenne afin d’éviter que la France soit poursuivie devant les tribunaux et devant la Cour de justice de l’Union européenne. Il n’avait pas le choix. La France ne respecte pas la directive oiseaux. Mais cette suspension n’est décidée que pour un an laissant ainsi aux chasseurs l’espoir de pouvoir reprendre l’année prochaine leur pratique mortifère. N’est-ce pas un exemple de lâcheté ?
Il faut noter que la fédération nationale des chasseurs et la fédération régionale des chasseurs de Provence-Alpes-Côte d’Azur ont saisi le Conseil d’État en référé pour faire suspendre cette décision d’interdire la chasse à la glu. Mais le juge des référés a rejeté cette demande des fédérations de chasseurs. Le juge note que la décision de la ministre est motivée par les doutes qui existent sur la compatibilité de la chasse à la glu avec la directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs été interrogée sur ce point par le Conseil d’État le 29 novembre 2019, et sa réponse est encore attendue. Autrement dit la ministre de la Transition Ecologique se réfugie derrière une décision de La Cour de justice de l’Union européenne. La Ministre pourra ainsi se dédouaner si la Cour européenne estime que la France ne respecte pas la directive oiseaux : la décision n’aura pas été prise par la France. Nouvel exemple de lâcheté.
Le lendemain de cette suspension, soit le 28 août dernier, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique autorisait par arrêté le tir de 17 500 tourterelles des bois alors que ces oiseaux ont perdu 80 % de leur population en trente ans. Evidemment la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) a aussitôt saisi en référé le Conseil d’Etat qui a suspendu cet arrêté pour la saison 2020-2021. Cette décision du Conseil d’Etat était certaine et Barbara Pompili savait que son arrêté serait retoqué. Mais elle s’en sort bien en face des chasseurs car ainsi ce n’est pas le gouvernement qui a pris cette décision. Lâcheté encore. De plus pendant la période de validité de l’arrêté, qui a été émis, il faut le remarquer, à la veille de l’ouverture de la chasse, les chasseurs ont pu, en toute impunité, tuer le plus grand nombre possible de ces oiseaux.
Mensonge 1
Le Glyphosate
Le 27 Novembre 2017 Macron promettait l’interdiction de l’utilisation du glyphosate en France « dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Donc d’ici 2021. Comme l’on dit souvent : « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » et avec le recul nul doute que le président savait alors pertinemment qu’il ne tiendrait pas sa promesse.
Et pourtant il réitère. En février 2018, lors de sa visite au salon de l’agriculture le chef de l’Etat maintient sa soi-disant volonté, comparant l’herbicide à l’amiante. « Il y en a qui disent que c’est très dangereux, d’autres que c’est moyennement dangereux. Moi, j’aurai à répondre de ce que je fais, demain, après-demain », assure-t-il à un agriculteur dans un échange houleux.
En mai 2018 un amendement rédigé par un député LREM, Matthieu Orphelin, proposait de graver dans la loi l’interdiction du glyphosate sur le territoire français d’ici à 2021, c’est-à-dire exactement la promesse faite par Emmanuel Macron.
« Curieusement » (si l’on peut dire) cet amendement était rejeté. Et parmi les députés ayant refusé de voter cet amendement on trouve 36 députés LREM. Il commençait alors à paraître clair que cette promesse ne serait pas tenue.
Pourtant, le 17 janvier 2019, dans son émission « Envoyé Spécial », Elise Lucet recevait François de Rugy qui était alors ministre de la Transition Écologique et Solidaire. Il avait remplacé Nicolas Hulot qui avait démissionné à l’automne précédent pour les raisons que l’on connaît. Interrogé par Elise Lucet sur ce vote assez contradictoire François de Rugy estimait qu’il n’était pas utile d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate car la détermination du président et du gouvernement était entière sur ce sujet, donnons lui la parole :
« Notre volonté, c’est bien d’en sortir en trois ans. Car si jamais les filières agricoles n’arrivaient pas à se mettre d’accord, à se mobiliser d’ici à 2021, à ce moment-là, il y aura une loi en 2021, une loi-couperet. En 2021, nous en aurons fini avec le glyphosate en France. C’est l’engagement de tout le gouvernement » Et François de Rugy ajoutait même « qu’il n’y aurait aucune dérogation »
Nous voilà donc bien rassurés… Hélas, non, car le 25 janvier 2019, soit à peine une semaine après la diffusion d’Envoyé Spécial et la déclaration péremptoire de François de Rugy, lors d’un débat citoyen organisé dans la Drôme, Emmanuel Macron déclarait : « Je sais qu’il y en a qui voudraient qu’on interdise tout du jour au lendemain. Je vous dis : un, pas faisable et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans on ne fera pas 100 %, on n’y arrivera, je pense, pas. » Il n’y aura donc pas d’interdiction du glyphosate en 2021…vous avez dit lobby ?
Mensonge 2
Le Chlordécone aux Antilles
Mais M. Macron n’en est pas à un mensonge près. Le 1er février 2019 il recevait à l’Elysée des élus d’outremer dans le cadre du grand débat national. Il s’exprima alors sur le chlordécone, ce pesticide utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies des Antilles pour agir contre le charançon. On connaît très bien les conséquences gravissimes de l’utilisation de ce pesticide. M. Macron n’hésite pas à dire « Il ne faut pas dire que c’est cancérigène. Il est établi que ce produit n’est pas bon, il y a des prévalences qui ont été reconnues scientifiquement, mais il ne faut pas aller jusqu’à dire que c’est cancérigène parce qu’on dit quelque chose qui n’est pas vrai et qu’on alimente les peurs ». Or la quasi-totalité des Guadeloupéens (95 %) et des Martiniquais (92 %) sont contaminés au chlordécone, selon une étude publiée par Santé publique France en 2018, tandis que les sols sont pollués pour quatre cents à sept cents ans, exposant la population à une menace invisible mais omniprésente. Les Antilles détiennent d’ailleurs le triste record mondial de cancers de la prostate.
Trahison
Les néonicotinoïdes
Vous êtes déjà écœurés, attendez le pire est à venir. Mardi 6 octobre dernier l’Assemblée Nationale a voté une loi autorisant à nouveau l’utilisation des néonicotinoïdes dans les plantations de betterave.
Que sont les néonicotinoïdes ? Des pesticides, plus précisément des insecticides. Ils sont apparus au début des Années 1990. Ils sont extrêmement puissants et dangereux. Par exemple, pour traiter un hectare de culture il suffit de 60 grammes de ces produits. On peut les comparer à un pesticide bien connu et interdit depuis 1970 : le DDT. Les néonicotinoïdes sont 7 000 à 10 000 fois plus puissants que le DDT ! Effrayant non ? Ils détruisent les insectes ravageurs des cultures mais aussi… tous les insectes, et notamment les abeilles. Beaucoup de ces insectes sont indispensables à notre survie car ils jouent le rôle de pollinisateurs, leur action est donc nécessaire pour que les plantes qui nous nourrissent puissent pousser. Or depuis un quart de siècle 80% des insectes ont disparu. Oui, vous avez bien lu : 80%. Oh c’est pratique car nos pare-brise restent immaculés, pas comme avant où, surtout en été, on devait les nettoyer fréquemment si l’on voulait voir la route devant nous. Mais hélas cette disparition est dramatique et a pour conséquence une autre disparition : celle d’un nombre plus que conséquent d’oiseaux : 30% des oiseaux ont disparu en 15 ans ! Remarquons également que depuis l’introduction de ces insecticides la production de miel en France a été divisée par 3, passant de 35 000 tonnes par an à seulement 10 000 tonnes ce qui nous oblige à importer de grandes quantités de miel puisque nous en consommons 45 000 tonnes par an.
Alors, en 2016, la France avait pris une décision courageuse en promulguant l’interdiction des néonicotinoïdes. Cette interdiction est effective depuis 2018 et des dérogations étaient autorisées jusqu’u 1er juillet 2020. Et qui donc avait porté cette interdiction à l’époque ? Barbara Pompili qui était alors secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité. Mais allez-vous dire, s’agit-il de la même Barbara Pompili que la ministre actuelle de la Transition Ecologique ? Mais oui, c’est bien elle. Alors que s’est-il passé ?
Les producteurs de betteraves constatent cette année une infestation de leurs cultures par une maladie : la jaunisse de la betterave. Cette maladie est véhiculée par un puceron pour lesquels les betteraviers n’auraient trouvé aucune parade. Ils ont donc demandé une nouvelle dérogation pour utiliser à nouveau les néonicotinoïdes. Ils ont eu 4 ans pour se préparer à cette interdiction définitive des néonicotinoïdes, qu’en ont-ils fait ? Il ne faut pas être très malin pour comprendre qu’en fait, au travers des betteraviers, ce sont les laboratoires qui produisent ces poisons qui tuent tout ce qu’ils touchent, et nous bien sûr également, ce sont donc ces laboratoires sans scrupules et avides d’argent qui agissent. Leur lobby est si puissant.
Mardi 6 octobre 2020 l’Assemblée nationale a donc décidé d’autoriser les betteraviers à utiliser à nouveau les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles (entre autres). Mais ne nous y trompons pas, si pour l’instant il ne s’agit que des betteraviers, cela ne durera pas, les producteurs de maïs, ou de colza, ou de tout autre chose, obtiendront rapidement la même mesure car pourquoi y aurait-il deux poids deux mesures. D’ailleurs le projet initial de la loi telle que l’avait rédigée le gouvernement ne faisait pas référence aux seuls céréaliers car cette restriction ne tiendra pas devant le Conseil constitutionnel. C’est en commission que cette restriction a été ajoutée pas pour longtemps assurément. Il faut noter que lors de l’étude de la loi qui était défendue par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, Barbara Pompili n’a pas jugé utile de venir assister aux débats, aurait-elle honte ?
En juin 2017, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, avait déjà fait part de sa volonté d’assouplir la législation contre les néonicotinoïdes. Il avait immédiatement été contredit par Nicolas Hulot qui était alors ministre de la Transition écologique, assurant qu’il n’y aurait aucun changement. Matignon avait fini par trancher en faveur de Nicolas Hulot, en accord avec… une promesse faite par Emmanuel Macron pendant sa campagne. En effet le 9 février 2017, le candidat d’En Marche! avait donné une longue interview à l’association WWF France. Interrogé par Pascal Canfin, directeur de WWF et ancien ministre délégué au Développement dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Emmanuel Macron avait été interrogé sur le sujet des néonicotinoïdes
« Est-ce que vous revenez sur la règle actuelle, c’est-à-dire l’interdiction en 2020 ? », lui avait demandé Pascal Canfin. « Non », avait dit Emmanuel Macron. « Est-ce que vous la confirmez? », avait relancé le directeur de WWF. « Oui », avait acquiescé le candidat à l’Elysée… On voit ce qu’il en est aujourd’hui.
La position adoptée par Barbara Pompili est d’autant plus indéfendable que le 15 septembre dernier elle avait accepté de recevoir les représentants du mouvement « Nous Voulons des Coquelicots » qui venaient déposer dans son ministère les 1 135 133 signatures de l’appel des Coquelicots. La revendication soutenue par cette association étant tout simplement l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Au moment de ce rendez-vous l’annonce du vote sur les néonicotinoïdes était déjà connue. Cela a conduit Fabrice Nicolino, président de l’association « Nous voulons des Coquelicots » à lire à Madame Pompili une déclaration solennelle. La voici :
Nous ne pouvons plus attendre, et vous faites pourtant comme si. La crise de la vie sur Terre, et donc en France, est totale. Vous le savez, mais vous faites semblant qu’il n’en est rien, préférant miser sur une carrière politique qui a fait de vous le numéro trois du gouvernement. De ce gouvernement qui se moque des dizaines de milliers de coquelicots de ce pays. Ceux qui chaque mois depuis deux ans alertent d’une manière pacifique devant des centaines de mairies françaises.
Aucun ministre, aucun élu de la République n’a jugé bon de seulement nous contacter. Ils auraient alors appris ce qu’est une démocratie vivante. La manière dont nous avons réuni patiemment, une à une, sur les places et les marchés, dans les salles d’attente des médecins, à la sortie des gares, 1.135.133 signatures pour l’interdiction des pesticides. Le tout à l’initiative d’une dizaine de citoyens, au départ sans un centime d’euro public ou privé. Ce mépris est une grave honte pour notre République, et il nous indigne.
Madame Pompili, vous êtes responsable. Vous êtes responsable personnellement, et nous n’acceptons pas les subterfuges habituels. Vous ne pouvez décemment vous abriter derrière des arguties. Oui, il y a l’État, les lobbies, l’économie. Mais oui, il existe un droit supérieur à tout autre, celui des écosystèmes sans lesquels nous ne sommes rien. Celui des bêtes et des plantes massacrées par les pesticides. Celui de la santé des humains. Celui des fabuleuses rivières, dont nous aimerions tant boire l’eau sans inquiétude.
C’est ce droit‐là que vous devez défendre contre tous ceux, si nombreux, qui nous enfoncent dans une crise sans issue. Mais vous ne le faites pas. Et pour cette raison, le mouvement des Coquelicots dépose ce 15 septembre 2020 une plainte majeure contre vous. Elle n’est pas pénale, elle est morale. Et fondamentale. C’est une plainte solennelle pour non‐respect de votre propre parole. C’est une plainte pour non‐assistance à des milliards d’êtres vivants en danger de mort immédiate, dont le peuple des abeilles n’est qu’une première ligne. C’est une plainte qui restera. Cette flétrissure vous suivra tout au long de votre vie. À moins que ?
Cette déclaration n’a pas empêché Barbara Pompili d’ajouter sa signature aux 1.135.133 précédentes et par la même de soutenir l’appel des Coquelicots (reproduit ci-dessous) et réclamant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Que d’incohérence !
Patrick Fabre – Cruis, le 12 octobre 2020
Nous voulons des coquelicots
Appel pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse
Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers.
Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans; la moitié des papillons en vingt ans; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards; les grenouilles et les sauterelles semblent comme évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde !
Non, nous ne voulons plus. À aucun prix. Nous exigeons protection.
Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes.
Merci Patrick pour cet article si précis et si décourageant. Nos dirigeants ont perdu le bon-sens qui permet le respect du vivant et la beauté des paysages. Il nous reste à garder le cap quoiqu’il en soit et à nous réjouir des lumières d’automne. Laurence