[éditorial] Joyeux Noël – la Comcom vous aime
![[éditorial] Joyeux Noël – la Comcom vous aime](https://cruis-citoyen.fr/wp-content/uploads/2020/12/comcom-noël.jpg)
Dans un journal d’information, il arrive que l’actualité appelle un regard critique de la rédaction : c’est l’éditorial.
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Nous avons tous reçu un courrier de la Communauté de communes ces jours-ci, annonçant le principe d’une mesure de soutien pour les commerçants de notre intercommunalité : en échange de 20 €, on nous propose un chèque de 40 € à dépenser où bon nous semble chez les commerçants du territoire, à l’exception des grandes surfaces. Ces chèques étaient mis à disposition dans chaque mairie.
« A cheval donné on ne regarde pas la bride » (ou les dents) dit le proverbe. Il n’empêche que cette offre, a priori pour la bonne cause, a déclenché des réactions plutôt vives auprès de la population. Dans nos pages, sur un sujet pourtant distinct, les commentaires réprobateurs vont bon train quant à la pertinence du geste de la Comcom et au défaut de communication qui l’accompagne.
Tâchons de clarifier la question.
C’est moi qui l’ai fait
Le courrier qui nous est parvenu est de bon aloi, exprimant la solidarité pour ceux qui agissent dans la crise et ceux qui en pâtissent le plus. Une tournure de phrase nous frappe, cependant, quand au 3e paragraphe on peut lire : « J’ai donc décidé d’agir de façon concrète et pragmatique… ». Ce qui interpelle, c’est ce « J’ai décidé » qui donne l’impression que le Président de l’intercommunalité, David Gehant, signataire de la lettre, est le Père Noël qu’il faut remercier pour cette aubaine – c’est lui qui, personnellement, nous fait ce cadeau.
Chacun aura compris que les dépenses de la Comcom dépendent, directement ou indirectement, des orientations budgétaires votées par les élus, qui représentent chaque commune. Cette décision est donc le fait de l’assemblée intercommunautaire, et non de Papa Gehant.
Ceux qui s’en souviennent ont peut-être remarqué une différence avec cet autre courrier qui nous est parvenu à l’issue du conseil du 31 juillet, annonçant une nouvelle taxe foncière : il était signé « Le Président, les Vice-présidents, les membres du bureau ». Donc, quand on nous donne c’est le Président, et quand on nous prend c’est la Comcom. Il suffisait d’y penser.
Si vous ne comprenez pas c’est pas grave
Mais l’essentiel des récriminations tourne autour de la logique même de l’opération. L’idée de se servir d’un fond d’aide (disons modeste) comme levier pour stimuler la consommation locale qui doublera la mise, n’est pas mauvaise en soi. Mais qui en profite ?
Il est bien mentionné dans ce courrier, au passage, que « 40 000 € seront immédiatement dépensés » mais c’était la seule indication, cryptée, de l’envergure de l’offre. On lit par ailleurs que « le nombre de chèque (sic) est limité à un par personne dans la limite de 2 par foyer ». Chacun se sent donc logiquement concerné. Ce qui n’est pas écrit, et il eut mieux valu que cela le soit, c’est que 1 000 chèques seulement ont été émis. Comme on compte environ 10 000 habitants dans nos communes, on a donc un chèque pour 10 personnes – ainsi Montlaux reçut 20 chèques et Cruis une soixantaine. L’annonce des largesses de David Gehant n’évoquait pas du tout cette dure réalité : les premiers arrivés seraient les premiers servis et tant pis pour les 90% qui restent. Bonne chance !
Il s’agit vraisemblablement d’un oubli car cette situation ne profite à personne – et l’erreur est humaine. Mais chez nous, beaucoup ont été (désagréablement) surpris de se faire répondre dès le lendemain de l’annonce que tous les chèques étaient déjà distribués. Comme à Cruis on doit prendre rendez-vous pour accéder à la mairie (Niozelles est la seule autre commune de notre interco à pratiquer de telles restrictions) ces personnes avaient pourtant l’impression, en prenant leur rendez-vous pour obtenir un chèque, de le réserver. Mais non.
Il est probable que ce problème en soit plus un de forme que de fond. La communication sur le sujet a été extrêmement maladroite. Quand on écoute par exemple le discours du Président, on a vraiment le sentiment qu’on y aura tous droit :
[Si vous n’accédez pas à la vidéo ci-dessus, utilisez ce lien.]
On note que cette vidéo est publiée par la Ville de Forcalquier, amalgame auquel on revient plus bas. On a par contre du mal à s’y retrouver entre les 20 000 € de la Comcom, les 40 000 € en pouvoir d’achat suscités et les 80 000 € censés être investis. C’est que la municipalité de Forcalquier, par différents moyens, tente de provoquer 40 000 € d’achats sur le territoire (soit principalement sur Forcalquier, où la majorité des commerces sont concentrés) en plus de l’offre de la Communauté de communes. Si vous ne vous y retrouvez pas ce n’est pas étonnant – c’est peut-être même voulu. Par exemple, faire passer pour un investissement le fait de contraindre les employés de la municipalité à dépenser leur chèque de Noël habituel sur le territoire relève de l’illusion d’optique.
Quand on lit les journaux, l’impression que personne n’y comprend rien persiste.
Il eut pourtant été assez simple d’expliquer les limites de l’offre, allant au-devant des déceptions, et surtout de rappeler que le public visé par cette aide n’était pas les consommateurs mais les commerçants frappés par la crise sanitaire. Les consommateurs étaient plutôt appelés en renfort, pour doubler l’aide publique.
L’essentiel des critiques est basé là-dessus : « Pourquoi n’ai-je pas eu droit à mon chèque ? » Compte tenu de la manière dont le dispositif a été amené, cette réaction est normale – elle était même prévisible.
Certains racontent chez nous que les chèques ont été distribués de manière sélective, en fonction de priorités cachées, mais cela reste à prouver. Quoi qu’il en soit, il semble évident que les élus et les employés de mairie, qui avaient accès à ces chèques avant tout le monde, ne devaient pas les réclamer, par simple déontologie.
Une suggestion : si jamais cette situation se rencontre à nouveau, pourquoi ne pas organiser une tombola ? Le hasard aveugle serait probablement plus juste que la loi du plus rapide ou du plus proche.
A qui profite le crime ?
Cela dit, la démarche reste aussi bancale sur le fond.
D’abord, pourquoi mettre dans le même sac tous les commerçants, hormis les grandes surfaces ? Par exemple, les commerces alimentaires, les artisans du BTP et les garages n’ont pas du tout souffert de la 2e vague de la crise sanitaire. Ceux qui méritent (désespérément) de l’aide, ce sont les commerces qui ont subi une fermeture administrative – les bars et les restaurants, les coiffeurs, les librairies, les cinémas, l’artisanat, etc. – et leurs fournisseurs : par exemple, les producteurs de fromage de chèvre de Mallefougasse écoulaient une grande partie de leur stock auprès des restaurants et ont été lourdement impactés par la crise.
Les données de l’INSEE pour notre intercommunalité permettent d’estimer minimalement à plusieurs dizaines de millions d’euros le chiffre d’affaires annuel normal pour l’ensemble des « commerçants » que vise la Comcom sans en préciser le périmètre. Quel impact économique auront ces quelques milliers d’euros en regard des pertes potentielles encourues à cette échelle ? Eh oui, tout ça pour ça.
Ceux qui croient reconnaître là une manœuvre de marketing politique semblent a priori fondés, car on y voit plus de bruit que de résultats. Mais beaucoup tombent apparemment sous le charme du beau geste, si l’on se fie aux réactions positives sur les réseaux sociaux.
Confusion des genres
Plusieurs voix se sont aussi élevées pour dénoncer l’apologie de la consommation alors que nous comptons parmi nous des familles qui sont dans la précarité et qui auraient bien besoin d’un coup de pouce pour affronter l’impératif festif de la saison.
C’est vrai, mais c’est une question différente. Si la Comcom peut proposer des mesures de soutien à nos concitoyens dans le besoin, c’est une très bonne idée. Mais c’est un autre sujet qui se traite à un autre niveau, et qui comporte d’autres défis – comme celui de l’identification des ménages concernés.
Dans une étude du territoire de la Comcom de 2018, il est écrit en page 11 : « On estime que 20% de la population locale vit en dessous du seuil de la pauvreté (contre 17,5% au niveau régional) » – et une moyenne nationale en 2017 à 14,1%. Il y a donc beaucoup à faire, et ce n’est pas avec 20 000 €, ou même 40 000 €, qu’on changera la donne pour environ 2 000 personnes (soit entre 10 et 20 € par personne). Cela pourrait cependant faire une différence pour Noël.
Certains, issus notamment du mouvement « Forcalquier en commun », appellent à utiliser ces chèques au profit des plus démunis. Si vous souhaitez participer, que vous ayez d’ailleurs eu la chance d’obtenir un chèque ou pas, vous pouvez contacter ce mouvement par mail ou au 06 99 31 17 62.
Dans cette histoire de chèques, l’enjeu est le soutien économique aux entreprises impactées par la crise sanitaire. Il mérite notre attention et, quoi qu’on fasse sur ce front, le problème des inégalités sociales demeure et peut (et doit) être abordé par ailleurs – il n’est pas question de choisir entre l’une ou l’autre de ces priorités, qui sont d’ailleurs liées. En termes de moyens et de compétences, l’intercommunalité n’est sans doute pas l’échelon le plus adapté pour lutter contre la précarité mais elle peut apporter sa pierre à l’édifice.
Analyse
L’image qui se dégage de tout ça n’est pas à la faveur du principal porte-parole de la démarche, le Président de la Communauté de communes, maire de Forcalquier.
Déjà, le coup de la taxe foncière nous est resté en travers de la gorge : le 2 juillet, l’ancienne équipe de l’intercommunalité déposait un budget à l’équilibre, et le 31, le nouveau Président déclarait avoir trouvé un trou de 500 000 € dans la caisse justifiant un prélèvement sur le foncier. C’est quand même étonnant. Pourtant, aucun audit extérieur et impartial n’a jamais confirmé cette analyse. Ce qu’on sait par ailleurs c’est que de nombreux arrangements (notamment des postes salariés partagés) sont établis entre la Comcom et la ville de Forcalquier, à l’avantage de cette dernière, grâce aux finances de la première abondées par cette nouvelle taxe.
Aujourd’hui, ce sont les habitants qui font ces petits cadeaux aux commerçants – la moitié financée par leur taxe foncière, et l’autre directement de leur poche.
Que font les élus ? Certains ne ménagent pas leurs critiques mais la plupart ne voient pas l’intérêt de contredire le patron, par ailleurs conseiller régional influent dans notre secteur.
L’impression d’un emboucanage constant est tenace. On voudrait nous embrouiller qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et pendant ce temps, nos « petits entrepreneurs » comme dit M. Gehant, souffrent, et ce n’est pas les trois ou quatre chèques de 40 € (si la répartition était équitable) qui y changeront quelque chose.