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[éditorial] Désinformation photovoltaïque

[éditorial] Désinformation photovoltaïque

Dans un journal d’information, il arrive que l’actualité appelle un regard critique de la rédaction : c’est l’éditorial.

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Dans son édition du 8 au 14 janvier 2021, HPI (Haute-Provence Info) publie un article (version intégrale ici) rendant compte de la visite de la sous-préfète de Forcalquier dans notre village – la date de cette rencontre n’est cependant pas précisée.

Trois sujets ont été évoqués à cette occasion, dans cet ordre : la rénovation de l’école, le projet de centrale photovoltaïque, et la réfection du clocher de l’église. Abordons rapidement les premier et dernier sujets avant de passer à celui qui nous occupe : la centrale photovoltaïque.

Rénovation de l’école

Le détail et la motivation des travaux sont bien évoqués. Le détail des coûts est donné dans le compte-rendu du dernier conseil municipal (un lecteur laisse en commentaire une question sur la TVA qui semble pertinente). Les abondements de la DETR et de la DSIL (et non DSI) y étaient aussi évoqués. Par contre il faudrait annoncer au maire que « Monsieur le Préfet » s’en est allé depuis un moment déjà : nous avons une Préfète maintenant.

Réfection du clocher

Rien à dire à ce sujet sauf qu’il reste étonnant de n’en voir aucune trace dans le dernier (et premier) bulletin municipal.

On note qu’ici le Préfet est maintenant Préfète.

Centrale photovoltaïque

Nous avons droit ici à une sorte de record : le nombre de fausses informations par mot imprimé. Par souci de rigueur, nous reproduisons le texte entier de ce passage, en commentant les dérapages et les sorties de route au fur et à mesure.

(Comme les communications de la mairie à ce sujet sont le plus souvent erronées, et même contradictoires, on lira d’abord avec profit notre commentaire sur le Bulletin municipal N° 1, ainsi que la tribune que l’association Amilure avait publiée dans nos pages suite à un article paru dans La Provence contenant déjà plusieurs erreurs issues de la même source.)

Il y a un dossier important que vous avez évoqué ce jour, le parc photovoltaïque.

Effectivement, ce parc aurait dû voir le jour il y a plusieurs années.

C’est vrai. Ce projet est déjà vieux comme nous l’expliquons au sujet du Bulletin municipal. Les retards sont d’abord dus à des aléas administratifs, qui ont fait que la démarche, démarrée en 2009, n’a pu aboutir au permis de construire qu’en février 2017 – sans pourtant qu’une opposition quelconque ne se soit officiellement manifestée. Depuis, Boralex, l’opérateur, aurait pu mettre en œuvre l’autorisation de construire mais il s’est d’abord fait recaler deux fois dans le cadre des appels d’offres du ministère de la transition énergétique. Puis, il a mis près de deux ans avant de boucler son projet de compensation pour les espèces protégées auprès de la DREAL – contacté, le chef de projet de l’industriel nous avait expliqué qu’il n’y avait pas de raison de se presser puisque que RTE (les réseaux électriques) ne pouvait raccorder la centrale au poste de Limans avant 3 ans, tandis que le prix des panneaux baisse sans cesse et que leur performance augmente.

Les travaux auraient pu débuter en août dernier mais il existe encore un recours en contentieux.

Exactement : sans opposition, ce n’est qu’en août 2020 que les travaux auraient pu débuter, pour une mise en service au printemps 2021 dans le meilleur des cas. Si l’on veut se plaindre des retards antérieurs il faut se tourner vers l’administration et l’opérateur.

Nous prévoyons donc encore un délai de 6 mois.

En fait, la période permise pour le défrichement est de début septembre à début novembre. Si l’opérateur loupe cette fenêtre, il doit attendre encore un an avant d’entamer les travaux.

Il faut savoir et je reste volontairement dans le vague que certains habitants de Cruis – mais pas seulement, car il y a des opposants organisés en association qui rejettent toute volonté des communes à construire ces parcs – farouchement contre ont attaqué le permis de construire délivré par le préfet par deux fois.

Le « vague » dont on parle ici est stratégique : comme les affirmations de ce discours sont fausses, si les personnes visées étaient nommées son auteur se rendrait coupable de diffamation.

De nombreux Crussiens ont effectivement signé la pétition contre ce projet. Mais il y a aussi beaucoup d’habitants de Montlaux qui s’en émeuvent : si vous êtes de Cruis et soutenez cette installation industrielle, invisible depuis notre village, ignorez-vous qu’elle produira une balafre permanente sur la montagne de Lure pour les Moularins ? Il n’est pas normal que nous puissions ainsi, impunément, infliger une telle dégradation à l’environnement de nos voisins :

Ce montage reprend exactement le périmètre du projet tel que défini dans le permis de construire. L’aspect ne sera pas blanc mais bleu – voir photo d’en-tête.

Par ailleurs, l’association dont il est question ici se nomme « Amilure – Les Amis de la Montagne de Lure ». Elle a été fondée en 2017 pour résister à un projet d’éoliennes sur le Contadour – si vous connaissez le Contadour, vous réalisez sans doute la catastrophe qu’ils nous ont épargnée. Le collectif « Elzéard, Lure en résistance » développe aussi des actions qui convergent avec celles d’Amilure – il a notamment pris position contre ce projet et contribue au combat juridique.

Mais Amilure, dont on peut consulter le site avec intérêt, n’est pas contre tous les projets d’énergie renouvelable, contrairement à ce qui est affirmé ici. Pour ce qui est des panneaux photovoltaïques, elle défend la doctrine de notre DDT : les projets de taille modeste, sur des lieux qui ne compromettent pas des environnements fragiles ni la biodiversité, et qui sont montés dans la concertation locale, sont encouragés. (Voir l’encart à ce sujet en fin d’article.)

Enfin, ce n’est pas le permis de construire qui a été attaqué, comme on le détaille plus bas.

Une première fois, sur l’arrêté du préfet par rapport aux espèces protégées, ils ont été déboutés ! La seconde fois, leur demande de recours gracieux a été rejetée.

Il serait trop compliqué de pointer toutes les erreurs contenues dans ces deux malheureuses phrases – disons seulement les faits.

Le permis de construire n’a pas été attaqué – il eut fallu le faire dans les deux mois suivant son attribution, en février 2017. Ce qui a été mis en cause récemment c’est la dérogation pour destruction d’espèces protégées, délivrée par la préfecture, suivant l’avis de la DREAL qui, fait rarissime, a contredit la recommandation du CNPN (Centre national de la protection de la nature) qui n’était pas favorable au projet – ce retournement semble avoir été téléguidé par la préfecture.

Dans un premier temps, comme il est d’usage, Amilure a déposé un recours gracieux auprès de la préfecture. Cela permet de régler les différends hors tribunal. Le préfet a rejeté ce recours et Amilure a répondu par un recours contentieux, qui fera, lui, l’objet d’un jugement au tribunal administratif de Marseille. Cette procédure est en cours.

Les principaux arguments développés concernent le fait qu’une dérogation ne peut être attribuée que si l’intérêt public majeur du projet est démontré (ce qui n’est pas le cas) et si des solutions alternatives ont été envisagées (ce qui n’a jamais été prouvé).

Sachez que le parc se fera malgré l’acharnement de certains !

Etre convaincu, c’est bien, mais la justice ne verrait pas d’un bon œil qu’on préjuge ainsi de ses décisions .

Notre dossier est sans aucun doute un des mieux préparés du département !

Outre le CNPN, la DDT a émis de fortes réserves à l’égard du projet, demandant un coefficient de compensation élevé, ce que la préfecture est ensuite parvenue à atténuer car l’opérateur menaçait de se retirer.

Mais, si le projet de Cruis était si bien ficelé, comment expliquer que la centrale de Fontienne, dont le projet a démarré plus tard que le nôtre, soit en service depuis 2015 ?

Je peux chiffrer à environ 300 000 euros le manque à gagner pour notre village depuis que l’opposition a engagé tous ces recours.

De toutes les incohérences qu’on peut lire ici, celle-ci mérite le pompon : il est dit plus haut que le retard est de 6 mois, et ce délai vaudrait 300 000 € ? Même dans ses rêves les plus fous la mairie n’a jamais prétendu que les revenus de cette centrale excéderaient 100 000 €/an, et ce montant reste contestable. D’où sort ce chiffre ?

Le lecteur doit se le demander et le journaliste aurait pu le vérifier – mais un journaliste n’est pas un comptable, et vice versa.

Qu’aurions-nous pu faire avec ces fonds ! Surtout que nous ne savons pas ce que seront les compensations sur la perte des ressources liées à la taxe d’habitation.

Ah ça, c’est sûr. Que ne ferions-nous pas si nous étions riches ? Mais au fait, la question n’est pas si mauvaise. Que ferait-on avec cet argent ? La construction d’une boulangerie top niveau, la rénovation de l’école, la réfection du clocher, du personnel comme dans une entreprise… tout ça est apparemment à notre portée. D’ailleurs, lors des dernières municipales, quand on évoquait les finances de la commune on nous répondait qu’elles étaient au mieux – pléthoriques ! Il serait intéressant de connaître les intentions du maire pour utiliser le loyer de 67 000 € par an que paiera Boralex, et dont nous aurions, il paraît, désespérément besoin.

Sur ce dossier, il faut savoir que l’Etat (à l’initiative des demandes portant sur le renouvellement des énergies), la Préfecture et la DDT sont depuis le début à nos côtés.

Eh non : la préfecture suit le projet, c’est un fait, mais la DDT, la DREAL et le CNPN s’y sont en leur temps opposés, avant pour les deux premiers d’être retournés par le représentant de l’Etat et pour le dernier d’être désavoué.

Journalisme et vérité

Dans les cas de ce genre, on ne sait jamais si c’est l’édile qui s’égare ou le journaliste qui a mal compris. Mais ici, les initiales de notre journaliste sont celles du correspondant HPI de Cruis, qui siège au conseil municipal. Il faut donc lire ce papier comme une communication fidèle de la mairie.

Reste à savoir s’il s’agit de désinformation délibérée ou simplement de l’ignorance du dossier – ce qui est condamnable dans les deux cas.

Les ENR et l’écologie

Les énergies renouvelables (ENR) sont de plusieurs types. Celles que l’état a choisi de développer au maximum sont les centrales éoliennes et les centrales photovoltaïques.

A priori, faire de l’électricité à partir du soleil ou du vent, plutôt que du pétrole ou de l’uranium, cela semble une bonne idée : nous en avons à revendre, et nous cherchons désespérément à endiguer le dérèglement climatique, causé principalement par nos émissions de CO2. Les coûts en termes d’atteintes à la biodiversité, aux espèces protégées, à l’apport régulateur des forêts et à l’intégrité des paysages pourraient être acceptables, si c’était la contrepartie nécessaire au sauvetage de la planète. C’est ce que défendent tous ceux qui soutiennent ces projets industriels en pleine nature.

Malheureusement, il s’agit là d’une grossière erreur d’analyse. Il est clair que les émissions de CO2 en France sont le fait du chauffage (principalement à base de pétrole) et des transports (quasi uniquement à base de pétrole). Par ailleurs notre électricité dépend largement de l’énergie nucléaire, très sobre en CO2. Donc, même si l’on couvrait la moitié de la France de panneaux photovoltaïques entrelardés çà et là d’éoliennes, on augmenterait notre production électrique mais notre bilan carbone resterait pratiquement identique – ou pire si l’on prend en compte la fabrication des composants de ces centrales. A l’heure actuelle, la seule manière d’agir efficacement sur cet enjeu est de réduire notre consommation, par des mesures passives (isolation) et actives (sobriété à tous égards).

Par ailleurs, pour encourager les industriels à lancer ces projets, l’Etat garantit leurs revenus dans une mesure disproportionnée. Ces opérateurs ne font pas leurs marges sur le soleil et le vent mais sur les contribuables. Une centrale éolienne qui ne tourne pas par faute de vent, par exemple, est financièrement compensée par l’Etat. Au niveau national cela se compte en milliards d’euros chaque année (voir à ce sujet le rapport de la cour des comptes de 2018, page 50 et suivantes).

Il est normal qu’une petite commune, qui peine logiquement à boucler son budget, s’intéresse à ces revenus providentiels. Ce qui ne l’est pas, c’est qu’elle doive choisir entre notre patrimoine naturel et la manne financière de l’Etat – au nom de l’écologie, en plus. Il faudrait donc que les retombées de ces opérations soient partagées, à l’échelle du département, par exemple, ou de l’intercommunalité. Cela permettrait aussi de faire intervenir des compétences qualifiées, dont une petite mairie ne dispose pas, pour choisir les projets – encourager les vertueux et écarter les nuisibles.

Les ENR ont de l’intérêt, mais pas pour remplacer les grandes sources d’énergie centralisées. Comme elles sont modulables, elles peuvent facilement être intégrées à des structures existantes, des lieux artificialisés (friches urbaines, parkings, toits de bâtiments importants…).

Pour la même raison, elles peuvent être mises en œuvre près des maisons, dans une logique locale. C’est là qu’est notre avenir : dans la production individuelle ou collective d’électricité à l’échelle des particuliers ou des petites communautés. La politique commerciale d’Enedis, qui rachète l’électricité des petites installations beaucoup moins chère qu’elle ne la vend, dissuade aujourd’hui l’usager. Si ce n’était le cas, chacun (disposant au moins d’un toit) pourrait sans problème produire de l’électricité qui serait intégrée au réseau, d’où il pourrait en retour tirer sa consommation : en fin de période, celui qui a moins livré que l’autre, le particulier ou Enedis, règlerait la différence. Le réseau demanderait aussi à être optimisé pour permettre la consommation communautaire – on parle de « réseau intelligent » (smart grid) : si l’Etat subventionnait ce développement plutôt que les opérateurs privés, ce serait vite réglé. Le gain de productivité qui s’ensuivrait permettrait à Enedis d’atteindre l’équilibre dans une démarche beaucoup plus durable.

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Richard Fay
3 années passé(e)(s)

Salut éditorialiste,
Merci de ces explications qui rétablissent dates et faits.

Moi aussi j’ai lu avec effarement les propos de Félix relatés par Alain dans l’article de HPI du 8 au 14 janvier. Pour ou contre le projet, ce n’est même pas la question.

Car le dossier de la centrale PV se traine depuis 2009, et pas à cause des recours d’Amilure car ceux-ci ne datent que de 2020. 10ans de procédure, ha oui Felix peut dire que les services de l’état sont depuis le début aux côtés de la municipalité, sauf que l’article ne précise pas si c’est pour pousser ou pour freiner.

L’article est ainsi tourné qu’on comprend que les opposants “de Cruis mais pas seulement” (oh des étrangers ?), acharnés (oh les méchants), organisés en associations (re-oh les fourbes), sont la cause d’un manque à gagner légitime qui pénalise l’action des élus vertueux. C’est farfelu pour qui s’intéresse au débat, mais ça craint. On dirait du Xi-Jinping. La désinformation est un fléau, particulièrement toxique pour la bonne entente.

J.L.
J.L.
3 années passé(e)(s)

Merci pour tout ça. C’est quand même compliqué et c’est un problème qu’un membre du conseil municipal soit le journaliste qui écrit à propos de la mairie. Ce n’est plus de l’information.

Forest Jean Paul
Forest Jean Paul
3 années passé(e)(s)

J’ai bien compris , à travers votre tribune,l’envie de faire aboutir votre “combat” mais de grâce, n’employez pas le même vocabulaire stratégique que vous attribuez aux défenseurs du parc photovoltaïque!.
Car nous avons le droit ici à une sorte de record: le nombre de mots savamment choisis pour nous manipuler et nous faire changer d’opinion.
Dans le paragraphe commençant par: De nombreux Cruissiens ont effectivement signé ce projet ( à ce sujet, pouvez vous nous dire combien? sans révéler les noms bien entendu) …Si vous êtes de Cruis et soutenez cette installation industrielle ( C’est mon cas) Pourquoi les mots “installation industrielle” et non pas “panneaux solaires” Cela nous ferait-il plus peur? ensuite: (cette installation) produira une balafre permanente je suppose que lorsqu’on aura trouvé mieux pour produire de l’énergie renouvelable ,que des panneaux solaires, ces derniers ne seront pas difficiles à retirer. Peut être même, que le cahier des charges, prévoit une restitution du terrain à l’identique à la fin de l’opération?.sur la montagne de Lure pour les Moularins. Il n’est pas normal que nous puissions ainsi , impunément, infliger il est à noter que tous les Cruissiens défendant le projet d’installation de panneaux solaires sur leur commune(dans le respect des lois, évidemment) sont d’une cruauté absolue…une telle dégradation à l’environnement de nos voisins.
Et pour illustrer ces propos, une photo aérienne, censée être celle de nos malheureux Malourins avec une empreinte blanche bien visible dont on nous dit en légende, quelle sera bleue (d’ailleurs, y aura t-il, un jour des industriels qui proposeront des panneaux solaires verts, moins sujet à la critique).
Je pense qu’aucune cause de ce genre, ne justifie d’opposer de telle façon, les habitants de nos villages d’autant que vous avez déjà prouvé, à travers certains de vos articles, que vous pouviez au contraire, favoriser la cohésion.
Bien amicalement JP

Salgrenn
Salgrenn
3 années passé(e)(s)

La désinformation, ce n’est pas nouveau, non ?! Personnellement, je trouve que c’est une très bonne idée de raser des arbres* pour lutter contre le CO2 (rien que ce principe devrait faire réfléchir les gens, mais bon, j’dis ça, j’dis rien… !). L’idéal serait peut-être de faire, sous les panneaux voltaïques, un enfouissement de produits toxiques, on ferait ainsi d’une pierre, deux coups !
Bravo à vous, votre article est excellent, et à l’inverse de celui que vous évoquez, très éclairant. Merci pour cela.
*Et si en plus c’est dans une forêt protégée, alors là : Génialissime !

gaetan challer
3 années passé(e)(s)

Bonjour,

Merci pour toutes ces explications, je mesure le travail effectué. C’est sidérant, je suis vraiment stupéfait de découvrir tout ça.

Vous terminez en écrivant, “Reste à savoir s’il s’agit de désinformation délibérée ou simplement de l’ignorance du dossier, ce qui serait quand même un comble.”

Dans les deux cas, je trouve ça indigne.

Cordialement Gaëtan Challer

Bitterlin Sylvie
Bitterlin Sylvie
3 années passé(e)(s)

merci, très impressionnée par cette si précise analyse !!!