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[éditorial] Comcom fissurée : l’eau divise

[éditorial] Comcom fissurée : l’eau divise

Dans un journal d’information, il arrive que l’actualité appelle un regard critique de la rédaction : c’est l’éditorial.

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On peut suivre depuis quelque temps la montée en puissance d’un mouvement de rejet des injonctions de la Comcom pour forcer toutes nos communes à aller dans son sens : adopter une délégation des services publics (DSP) de l’eau et de l’assainissement qui serait théoriquement temporaire jusqu’à 2030 avant de mettre en place une régie publique intercommunautaire – ce qui ne serait qu’une privatisation déguisée de fait, compte tenu de la perte de maîtrise difficilement récupérable après 5 ans.

Nous l’avons déjà évoqué. Cela a commencé par une pétition (1300 signatures entre Internet et le papier) que nous avons portée, puis des citoyens se sont réunis à la suite d’une réunion sur le sujet de l’eau, fin septembre à Lurs. Le collectif Eau publique Lure-Forcalquier est né de ce rapprochement qui compte aujourd’hui une centaine de participants actifs et des sympathisants prêts à agir dans toutes les communes.

Pour mémoire, un tract a été imprimé pour résumer la démarche dont 5000 exemplaires ont été distribués sur le territoire.

Deux réunions publiques ont eu lieu, l’une à Montlaux et l’autre à Niozelles, qui ont fait salle comble, réunissant plusieurs intervenants spécialisés d’envergure nationale (et très étonnés des partis pris contreproductifs commandés par notre Comcom à son cabinet d’étude), des témoins de luttes comparables (qui ont réussi à infléchir le cours des choses), ainsi que notre député, Léo Walter, et Camille Feller, maire de Montlaux. Les comptes rendus de ces réunions apparaissent sur le groupe Facebook du collectif. Le dernier événement, à Niozelles, s’est terminé par l’appel à la mobilisation dans chaque commune, une liste de référents ayant été établie pour chacune afin d’organiser les actions. Des démarches seront bientôt mises en place à l’échelle municipale pour aller dans ce sens.

Dans les médias, les réunions ont été annoncées par BFM TV et Fréquence Mistral, la première couverte par Radio Zinzine, HPI et La Provence, qui a aussi commenté la réunion de Niozelles. C’est à la suite de ce dernier article que la Comcom a souhaité réagir en apportant quelques « précisions ».

Par ailleurs le dernier conseil communautaire, le 22 février dernier, a aussi donné lieu à quelques remarques acerbes de la part du président sur notre action, sans qu’il la nomme – et qu’il ne semble pas approuver…

Nous nous attachons ici à revoir l’argumentaire qui est opposé au collectif, pour en démonter les ressorts aussi évidents qu’inopérants.

Dans La Provence

Les précisions apportées par la Comcom ne semblent pas disponibles ne ligne. Nous prenons donc la liberté de les reproduire – leur auteur ne nous en voudra pas de diffuser plus largement :

La loi NOTRe

Cela s’appelle une diversion : si l’on souhaite éviter l’affrontement sur un terrain où l’on se sent fragile, on brandit bien haut un sujet connexe qui n’a rien avoir avec la situation pour gagner l’assentiment populaire. Personne, ni dans la pétition, ni lors du conseil communautaire du 21 septembre, ni dans la documentation du collectif, ni lors des réunions publiques, n’a suggéré que la loi NOTRe ne soit pas respectée. Le président s’étend ad nauseam sur la question pour tenter de retourner l’opinion contre ces gens qui se voudraient hors la loi – des « non républicains » (voir la vidéo du conseil, plus bas). Fiction ordinaire. Tout ce discours sur l’état de droit est de l’enfumage inutile.

Il est hypothétiquement question que cette loi soit modifiée pour que le transfert de compétences devienne optionnel, mais cela a très peu de chances d’aboutir, de l’aveu de tous, qu’on soit pour ou contre. Sauf grande surprise il va donc falloir y passer. Personne ne le conteste – eh oui.

L’anticipation

Pour respecter la loi, le transfert de compétences eau et assainissement doit se faire au plus tard au 1er janvier 2026. Autrement rien d’autre n’est dit – et surtout pas que le même régime doive s’appliquer à chaque commune. C’est donc aux modalités d’application de la loi, et non à la loi elle-même, que s’oppose une part de plus en plus grande de la population.

D’abord cette idée d’anticiper d’un an le transfert, dont la seule motivation officielle serait d’éviter la collision avec le calendrier électoral de 2026 – sauf qu’aucune autre intercommunalité de France, apparemment (notamment nos voisins de Haute Provence-Pays de Banon), n’a jugé cette concomitance problématique. Cela ne repose sur absolument rien. Mais quand on nous explique dans la foulée que, vu les délais, on n’aura donc pas d’autre choix que de déléguer nos services en DSP, on comprend mieux. Pourquoi ne le disent-ils pas d’emblée ? « On anticipe pour vous faire avaler la DSP. » Comme ça c’est clair.

D’autres raisons aussi occultes peuvent jouer sur cette décision : le renouvellement du contrat de DSP de la commune de Forcalquier, l’échéance des contrats de DSP de Pierrerue et Lardiers (1er janvier 2025), sans doute autre chose… On retiendra que les vrais motifs ne doivent surtout pas apparaître, vu la minceur de l’argument utilisé.

Les vraies options

DSP ou régie publique ? nous dit-on. Comme si le choix se résumait à cela. La régie publique, notons-le, est le régime le plus utilisé chez nous : les réseaux d’eau et d’assainissement sont gérés en interne, avec les ressources communales, par 10 communes sur 13. Parmi elles, 9 auraient souhaité rester en régie, mais 6 se sont « laissées convaincre » de la nécessité de passer d’abord par 5 ans de DSP, rejoints par Pierrerue qui voulait initialement quitter sa DSP. Une seule commune en régie (Fontienne, selon son maire) préfère la DSP par choix. Lardiers, en DSP, souhaite y rester. Trois communes refusent d’abandonner leur régie quitte à rejoindre un syndicat pour échapper à l’injonction.

Il existe pourtant tout un registre d’autres options qui ont été rapidement balayées par l’étude commandée (au sens propre) par la Comcom. On discerne, en la lisant, la stratégie d’entonnoir pour aboutir à la conclusion que la DSP est le meilleur choix. Mais même là, les valeurs comparatives de la conclusion sont inférieures à la marge d’erreur d’une analyse basée sur des chiffres encore fictifs – futurs tarifs du prestataire en DSP, création des emplois à temps plein en régie, etc.

Il eut pourtant été tellement simple de ne rien faire, c’est-à-dire acter en 2026 le transfert, avec pour seule conséquence que ce soit la Comcom qui gère la facturation et rétrocède à chaque commune la recette qui leur correspond. La loi serait ainsi satisfaite. Et en parallèle, peut-être avant même le transfert, on pourrait prendre le temps de réfléchir aux enjeux d’une mutualisation productive, mettant en commun les besoins et les contraintes des communes qui se ressemblent, plutôt que d’imposer le même mode de gestion à un réseau de communes complètement hétérogène.

L’eau, ce n’est pas les déchets. Pour les ordures, on est à peu près tous logés à la même enseigne d’une commune à l’autre, avec la question de ceux qui sont proches des points de dépôt et ceux qui en sont loin – même problématique. Mais pour l’eau toutes les situations sont différentes. Une commune qui ne sait pas quoi faire de son eau est voisine d’une autre qui ne produit pas une goutte. Une commune a investi chaque année pour maintenir son réseau et une autre n’a même pas de plan pour savoir où sont ses tuyaux. L’une fait face à 1M € de dettes pour des travaux indispensables et l’autre économise depuis des années pour renouveler sa station d’épuration. Comment appliquer la même solution à toutes ? C’est le moment de réfléchir, pas de suivre à l’aveugle des analyses qui n’en sont pas, en demandant, et non en imposant, aux élus leur avis, mais aussi aux citoyens parce que, dans la contexte de la précarité annoncée, la question nous concerne tous.

L’idée de laisser perdurer les modes de gestions actuels sous la nouvelle supervision de la Comcom s’appelle une « convention de gestion ». Dans l’étude citée, à propos de cette solution on lit : 

– Les services actuellement en régie sont très hétérogènes, et font très largement appel au temps passé des élus pour leur bon fonctionnement. Les modalités de gestion doivent s’homogénéiser mais également se renforcer pour mettre en œuvre de la gestion préventive et réaliser les exigences règlementaires minimales. Les communes ne disposent pas actuellement des moyens humains et matériels pour absorber ces éléments ;

 

RAPPORT SUR LE CHOIX DU MODE DE GESTION DES SERVICES PUBLICS D’EAU POTABLE ET D’ASSAINISSEMENT COLLECTIF DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNE PAYS DE FORCALQUIER-MONTAGNE DE LURE, Cabinet Cogite, page 12

Cela ne veut rien dire. Les élus sont impliqués ? La plupart ne s’en plaignent pas, d’ailleurs si leur choix est la régie publique c’est qu’ils acceptent ce rôle. Pourquoi homogénéiser les modalités quand l’ensemble des communes est hétérogène ? Quelle gestion préventive et quelles exigences réglementaires minimales, qu’on ne prend pas la peine de préciser ? Pourquoi les communes qui se débrouillent aujourd’hui ne le pourraient plus ensuite ?

Et ça c’est l’argument fort. L’autre c’est que cette option ne permettra pas d’optimiser les coûts – ce qui n’est absolument pas démontré. Et enfin : « La communauté de communes a très largement anticipé l’organisation du transfert et dispose du temps nécessaire à la mise en œuvre des moyens nécessaires à garantir la continuité du service quelque (sic) que soit le mode de gestion retenu ». C’est intéressant :  comme la Comcom a bien travaillé il ne faudrait pas que ce soit pour rien. Beau raisonnement. Et au passage on voit l’argument du délai voler en éclat – il paraît qu’on n’avait pas le temps de faire autrement que la DSP (François Prévost, conseil communautaire du 21 septembre) mais en fait non : quel que soit le mode de gestion retenu, on pouvait faire face.

Qui a écrit ce film ?

Toujours est-il que parmi les scénarios il y avait aussi le regroupement des communes par syndicat qui, curieusement, n’apparaît pas dans l’étude. C’est pourtant la voie qu’ont choisi 3 communes pour échapper à ce coup de force : Limans, Montlaux et Revest-Saint-Martin vont rejoindre le syndicat de L’Hospitalet, Revest-des-Brousses et Saumane, dans une logique supra-communautaire à cheval sur deux Comcom, ce qui devrait au moins les préserver de la DSP. Si votre maire vous dit qu’il ne voit pas d’autre choix, parlez-lui de celui-là. 

Les voies de la démocratie

Ceux qui sont derrière ces manipulations se gargarisent, avec raison, du nombre de voix recueillies pour voter ces décisions, revendiquant leur caractère démocratique. En effet, la majorité est écrasante, comme on dit. Comment l’expliquer ?

D’une part, tous (tous) les élus de Forcalquier ont voté dans le sens du maire. Que la liste au pouvoir suive son chef de fil ce n’est pas un scoop, mais même l’opposition municipale a choisi, pour des raisons qui lui appartiennent, d’aller dans son sens – passons, cela ne paraissait pourtant pas le meilleur calcul. C’est déjà 13 voix sur 27. 

D’autre part, ce sont surtout les maires qui se sont exprimés, avant même de faire voter leur conseil municipal. Plusieurs conseillers, aujourd’hui, n’ont toujours pas compris ce qui s’est passé ce soir-là.  Ces décisions ne sont pas l’expression de la population mais de quelques élus, même pas représentatifs de leur propre commune. Où est la démocratie là-dedans ? Dans certaines Comcom, chaque commune dispose d’une voix – le résultat eut été différent si c’était le cas chez nous.

Enfin, que voulez-vous, ce sont les voies de la petite politique de barbichette (tu me tiens, je te tiens…). En juin, plusieurs maires semblaient tenir à leur régie, mais l’été leur en a fait passer le goût. C’est ainsi.

Tous ces aléas seraient balayés si les usagers avaient leur mot à dire, comme le demandaient les signataires de notre pétition. Ce serait ça, la véritable démocratie : respecter la liberté de chacun tant qu’elle ne compromet pas celle des autres. Mais la Comcom dit : ce serait trop compliqué, les gens ne comprendraient pas, on leur expliquera quand ce sera fait – texto.

Lors de la réunion de Niozelles, Anne Grosperrin, vice-présidente de la Métropole de Lyon chargée de l’eau, et présidente de la régie eau publique du Grand Lyon, est intervenue par visioconférence préfilmée. Elle répond aux questions du collectif sur le processus de mise en place d’une association d’usagers et sur l’implication citoyenne dans la reprise en régie des services de l’eau et de l’assainissement sur Lyon. Les questions du bien commun, de la précarité, de l’environnement, et des enjeux sociaux sont évoquées – avec intelligence, voudrait-on souligner. La responsabilité de la collectivité est bien identifiée. On ne se rapproche pas des usagers seulement pour cautionner la démarche, mais pour y trouver les orientations du projet. C’est édifiant :

Présentation et questions Sylvie Mathieu, élue de l’opposition à Saint-Etienne-les-Orgues. L’indexation en trois sections apparaît au survol de la ligne de temps.

C’est un bel exemple de ce qui peut être obtenu quand on part avec les bons objectifs, en toute transparence. Et pourtant, vu les ordres de grandeur géographique et démographique, la complexité est ici bien supérieure à ce que doit confronter notre Comcom.

La perte de compétences et d’emplois

Enfin, l’affirmation de la Comcom selon laquelle aucune perte de compétence et d’emploi ne sera due à la DSP relève au mieux du vœu pieux. Dans les petites communes rurales, dans cinq ans plus personne ne saura à quoi ressemble le réseau, ce qui facilitera la main mise du service par le délégataire. Et l’on sait déjà que des employés communaux devront être réaffectés ou licenciés – comment pourrait-il en être autrement ? 

Et avec l’image

Le message était le même jeudi 22 février, quand notre président a souhaité dire tout le mal qu’il pensait de ceux qui questionnaient sa démarche – et même qu’il refuserait de discuter avec ceux qui ne sont pas d’accord avec lui :

La totalité du conseil est visible à cette adresse mais bon, que la force soit avec vous (le son ne commence qu’à 00:02:45).

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Richard
1 mois passé(e)(s)

merci pour le décryptage, CC.
Le plus irritant n’est pas tant les choix imposés par David Gehant maire de Forcalquier, que la façon dont il utilise les procédures, et que la façon dont il écorne la démocratie, avec le paletot républicain qu’il s’attribue.

ça me donne envie d’une tribune …

Bonnefond
Bonnefond
1 mois passé(e)(s)

Rappelons que pour une affaire privée, le déplacement extension de l’enseigne Intermarché, dans laquelle légalement la Commune de Forcalquier n’avait aucune base légale pour s’exprimer. David Géhant, alux frais de la collectivité a pourtant organisé un référendum sur ce sujet.
L’eau est un sujet autrement plus citoyen et vital. Pas l’ombre d’une proposition de référendum. Mais de minables petits arrangements dans l’entre-soi des maires, sans consultation aucune des citoyens.
L’eau et la nature qui en dépend n’ont ni parti ni idéologie. La note du choix idéologique (le Marché) nous aurons, tôt ou tard, à en payer le prix. Mobilisez vous tous pour obtenir dans les meilleurs délais, débats sincères et référendum sur tout le territoire de la Comcom.
Cordialement, JMo

JBR
JBR
1 mois passé(e)(s)

Lamentable, nous attendions mieux de D Gehan et de son conseiller F Pruvost ! Une régie provisoire est une utopie, il sera impossible de revenir en arrière, et nous paierons les services de l’eau 25 à 30% plus cher puisqu’une société privée doit faire des bénéfices!
L’article de la loi NOTRe est très contesté et pourrait bien être retoqué par le Sénat d’ici 2026. Ne pas oublier que son application a déjà été reportée tellement elle fait l’unanimité.
D Gehan avait dit son désaccord auparavant, pourquoi a t’il viré sa cuti ?
On parle d’une obligation d’utiliser l’eau de la Laye lorsque le niveau nominal du barrage sera rétabli. On parle également d’un prix de l’eau qui sera supérieur pour Forcalquier à celui actuel. Notre président de ComCom et les Forcalquiérins, voudraient-il nous inviter à partager ce supplément ?
Et l’avis des habitants de la ComCom ?